J’arrive de ma planque, sous les kayaks.
Carte-câlin, truculences de la vie,
j’ai compté les drupéoles tout l’après-midi.
La rivière c’était là où il y avait le plus de soleil ! Plein de soleil, plein de soleil et du froid de mars, les embarcations à voiles, à pédales coulent sous mes yeux, clapotent. Les colverts, les poules d’eau, les mouettes. Les ragondins, les rouge-gorges, les tilleuls amigo ! J’étire mes bras derrière mes oreilles sous le bonnet. Je salue par ci, par là. Je trimbale un sac de framboises miraculeuses. Sous les kayaks, j’aime bien parce que je peux dormir un peu, et j’aime bien parce que je peux écouter comme nulle part ailleurs, les coques résonnent le moindre son, c’est la grande symphonie des brins d’herbe écrasés et des plongeons patauds. Spectacle qui s’écoule-coute. Libellule qui prend une chicane à soixante kilomètres heure et qui gobe un moucheron. Par dessus, chance, un merle vient dans une coque, ses pas sont très forts, et puis un pédalo se retourne dans l’eau, splaf, la poule d’eau criote, ma machine s’emballe, ma que c’est beau !
Je t’inviterai bien sûr. On comptera les drupéoles ensemble.
Tu te souviens de ce que c’est les drupéoles ou pas ? Il ne faut pas que j’oublie de te raconter d’ailleurs les petites plantes qui poussent en altitude. De la rivière on voit des sommets poilus. Crois-tu que ce soit disgracieux ? Et bien pas-le-moins-du-mon-de ! J’irai t’en cueillir une petite feuille un jour. Une feuille sommettale ça s’appelle. Tu la mets dans tes oreilles et tu entends la montagne qui pousse. Héhé.
Je t’amènerai ça avec un sac de framboises et on pourra aller où tu veux. Les drupéoles ce sont les petits grains qui forment une framboise.
Tu prends la framboise, et tu défais les grains, de manière à avoir toutes les drupéoles sous les yeux, et tu les comptes. Compter les drupéoles, c’est un peu comme rien faire, contempler, rêvasser. C’est une nouvelle expression que j’ai inventé. Je la trouve géniale. Tu peux même manger les drupéoles une à une, et c’est le summum de la délicatesse et de la précision que tu expérimentes. Les samouraïs ont poussé cet art loin : ils décomposent la framboise avec leur sabre et piquent chaque drupéole avec la pointe. Ca marche avec les mûres aussi.
Il a plu par moment cette après-midi. Je me suis abritée sous les arbres et je suis restée aussi sous la pluie god damned. Douche.
Non-farouche câlin et pleins de bisous aux oiseaux. Vols sous la pluie.
Je reviens très bientôt.