J’ai chaud. J’ai ramassé tous les fruits du cèdre.
Ils sont juteux et rouges, j’ai les mains violettes,
ça va pas partir facilement… Je vais rentrer maintenant. Je vais planter mes bottes dans la gadoue et saluer tous les margoulins qui s’excitent sur leurs tronçonneuses. Putain j’aimerais bien l’avoir tout ce bois, à la place je vais le chercher à pied dans la forêt, c’est la loose. J’aimerais bien qu’Elise soit rentrée. Elle travaille beaucoup en ce moment. Elle aimerait partir en vacances. J’aimerais bien qu’on aille aux Açores, mais je suis sûr que ça fera trop. Trop loin, trop cher, trop exotique. Pourtant
j’aimerais bien être main dans la main avec elle au milieu de tous les bateaux du monde qui transitent sur cette île.
On imaginerait toutes les aventures qui se trament dans ces gros navires. On récupérerait des bouts de bois colorés qu’on mettrait sur notre table de nuit, à l’hôtel, qui n’aurait pas vraiment de mur tellement il fait chaud. Je lui poserais les petits bouts de bois sur ses petits seins et elle les ferait tomber en rigolant. Petits seins si jolis. Je sais qu’elle aime pas que je dise ça. Ce serait l’occasion qu’elle sorte toutes ses jolies robes, ses petites chaussures ouvertes, moi mes belles chemises à motifs que je mets jamais. Mes tongs. Nos chapeaux. On irait se baigner, on ferait du vélo sur l’île. On marcherait en canard de trop baiser. On marcherait aussi sur un chemin comme celui-là, comme celui-là mais sans la boue, elle me colle aux bottes, j’en ai marre des fucking bottes, dégagez dans le fossé les fucking boots vous êtes pas faites pour walking !
Là-bas il y aurait tellement d’oiseaux, et ils seraient tellement nombreux et en même temps tellement sauvages qu’ils n’auraient pas peur de nous, ils viendraient sur nous, nos épaules. Ils seraient presque agressifs à ne pas faire la différence entre un t-shirt et des cheveux et un rocher. Il faudrait les chasser un peu et assez vite on se construirait un abri pour les écouter au calme, on écouterait ce qu’ils crient et on crierait pareil. On crierait si bien qu’on aurait plus besoin de les chasser. Ils nous prendraient pour l’un des leurs. Ou on inventerait un autre braillement, et on les fatiguerait avec notre braillement magnifique et c’est eux qui nous imiteraient. Ils nous casseraient les oreilles mais on ferait quand même des pique-niques avec eux, on mettrait des fruits et des insectes, ou des vers au milieu du petit tissu qu’on aurait étendu. Je te bécoterais comme un petit oiseau et toi aussi tu me bécoterais et on se retrouverait à poil au milieu des oiseaux, il faudrait vite se remettre aux abris.
Je vais aller chercher des huîtres en rentrant. C’est le moment où la forêt devient claire, ces derniers jours elle a sacrément perdu de feuilles avec tout ce grand vent.