Thibault Jehanne est un artiste sonore et vidéaste. Grand observateur des minutes, il n’a pas peur de les prendre dans ses mains, de les coller près de son oreille ou de les ramasser sur une carte SD. Il dit oui quand elles lui offrent une tasse de café et il écoute ce qu’elles fabriquent, regarde par la fenêtre avec elles. C’est dans cette familiarité que le travail opère. Le temps est sa matière première. Il ouvre de l’espace dans les minutes et sauve de l’oubli ce qui nous échappe, ce sable qui coule entre les doigts. Attentif jusqu’aux images fantômes tapies dans les coins, il saisit, avec sa caméra et ses micros, des nuances souvent minimales, presque abstraites. 

Avec les codes cinématographique il produit de l’étrange. Dans la vidéo Le soleil se lève à l’est, un mat est planté au centre de l’image. Le ciel occupe tout l’arrière-plan et des cimes d’arbres bordent le cadre. Le mat porte un drapeau qui très lentement, se met à bouger. Toute l’attention est portée sur la beauté du drapé qui prend le vent. Il semble s’emmêler dans l’air et lutter pour s’étendre. Il flanche une première fois, puis se relève et tombe à nouveau. Il recommence, échoue plusieurs fois jusqu’à, finalement, réussir. Il s’étend de tout son long, dans un équilibre subtilement potache et magnifique à la fois. Une tâche s’affiche sur le drapeau, jaune sur fond rouge. Le soleil est levé.  

Thibault Jehanne prend soin des signes spatio-temporels banals qui nous entourent. Il y a presque un peu d’insolence dans son obstination à nous faire relever la tête sur ces intensités qui s’évanouissent si facilement d’habitude. Ce qui ponctue nos vies dans les marges, il le ramène au centre, inlassablement. 

Dans ses œuvres, les titres s’invitent au premier rang : la cime du saule, Eclipse, le train fantôme, une carte du ciel, Brume, l’air immobile, Farol… sont autant de mots fréquemment rencontrés qui se retrouvent coiffés de nouveaux chapeaux, de nouvelles images, de nouveaux sons. Ils sont ragaillardis dans nos pensées, redécouverts. On oublie souvent d’enlever la poussière sur les mots les plus simples, sur les formes les plus habituelles. Ses œuvres sont autant de poèmes visuels ou sonores qui secoue des poncifs comme un drap mouillé qu’on claque fort avant de l’étendre. Les minutes, elles, se cabrent et triplent leur densité : ces enchantements les arriment très fort à elles-même. Le pouvoir hypnotique de la contemplation nous emporte hors du temps. 

Dans la pièce sonore Farol, Thibault Jehanne sort l’artillerie lourde. Il fait le portrait d’un pont monumental, celui du 25 avril à Lisbonne. Découvrir son point de vue sur cette architecture est une expérience qu’il faudrait diffuser à chaque coin de rue, dans des salles dédiées à l’écoute, gratuites et confortables. Avec Farol, nos oreilles clignent comme jamais. C’est exactement comme si l’on avait rencontré un pont dans le train et qu’on avait discuté avec lui pendant tout le trajet. Et l’on sait par ailleurs qu’on ne regardera jamais plus un pont de la même manière. 

L’écriture plastique de Thibault Jehanne joue des images qui créent des sons et inversement. Elle mélange prosaïsme et magie, dézingue sévèrement l’idée que le temps passe trop vite et réécrit le monde, avec la force de la simplicité.