Thibaut Roques habite Toulouse puis Caen, alternativement. Il est jeune et tout juste diplomé de l’Esam. Il aime les pigeons mignons qui habitent les jeux vidéos : ceux-là même qui s’envolent de la rembarde du circuit automobile. Ceux-là même qui un jour lui ont donné envie, au-delà de ce virage, d’aller explorer le jeu, comme on explore une montagne. Le virtuel a tout du réel tant qu’on peut s’y perdre et s’y promener. Dans cette zone hors-champ, hors du temps, Thibaut Roques travaille. Il y construit des espaces dans lesquels il fait bon se promener, traîner. Espaces oubliés, espaces non peuplés : petite île, petite oasis, petite cabane. S’abriter pour mieux fuir et s’abandonner, ou s’abriter pour mieux se projeter et construire : telle est la question. Ca dépend des moments, dit-il. Un bon refuge accueille tout ça à la fois. Dans des grands carnets, plus grands qu’un grand sac-à-dos, Thibaut note régulièrement des choses qu’il voit, il dessine, il observe. Il photographie aussi. Il diffuse ses dessins sur papier, dans des éditions à petits tirages, très belles, sur écran… Certains de ses dessins sont tatoués et se baladent tous seuls. En ce moment, il attend les beaux jours. Il a hâte de reprendre son vélo pour s’aventurer vers l’inconnu et au-delà. Balade du soir, un peu avant que le soleil se couche. C’est son moment préféré de la journée, le basculement vers la nuit. Il file à toute allure. Sous un réverbère le long de la voie verte, près de la rivière, il s’arrête. Les grenouilles hibernent à point fermés et il allume Princess Nokia dans ses oreilles, le morceau Kitana. Il a des grosses moufles qui l’empêchent de dessiner. Mais il souffle un petit nuage de fumée et vise le panier de basket qui est juste à côte de la table de picnic. Il imagine deux-trois petites choses à ajouter, un cône de glace qui s’est scrouté par terre, un ballon, un petit sandwich parce qu’il a faim. Et puis il repart, il ne faut pas prendre froid. Il a une chaude violence dans les oreilles.


Ecouter Kitana de Princess Nokia
Travail de Thibaut Roques
Portrait publié dans le Buzz Pack 42 en février 2017 (Caen)
Ecouter le portrait lu, un montage sonore de Louise Ganot